
Quelque soit l’état dans lequel nous trouvons le monde extérieur, il a toujours une façon de raisonner en nous. Le monde est sans doute une réalité dans laquelle on vit, mais la façon que nous avons de le recevoir fait aussi partie du réel. Il y a les déterminants (causes extérieures) et puis les déterminés (causes intérieures), deux fils qui s’entrecroisent pour créer le tissu de notre réalité.
J’ai pris pour habitude, au fil des années, de prêter attention aux échos intérieurs des cris extérieurs. J’interroge ma subjectivité en tentant de séparer ce qui vient de moi et ce qui vient de mon éducation, de mon milieu, de ma culture.
Une façon de procéder qui m’a été suggéré par l’attention que je semblais porter aux récits, autant les contes, que le journal de 20 h. L’importance de la parole reçue, son impact.
A l’heure actuelle, si je ne lis plus ni l’un ni ‘autre, j’ai découvert, au travers de mon étude des mythes et des légendes, que ceux qui concernaient la genèse du monde avaient une importance particulière. La cosmogonie, « cosmos » (monde) et « gonos » (procréation) parle tout aussi bien de la constitution des déterminants que des déterminés. Cosmogonie (out) et cosmogone (in).
En fait, tout se passe comme si nous héritions tous d’un livre dont la lecture si elle n’est pas toujours explicite ou apparente, conditionne au fil des générations la culture matricielle dans laquelle nous baignons.
Un livre. Biblio. Et un héritage, provenant d’un testament ancien et nouveau.
Et puis une civilisation que l’on dit judéo-chrétienne, ou le concept de culpabilité semble jouer un grand rôle.
Je plaisante : la culpabilité nous est presque aussi naturelle que l’air que l’on respire…
Donc, il était une fois la Chute de l’Homme.
« Dieu permit à Adam et à Eve, sa femme, de manger du fruit de tout arbre de l’Éden sauf de celui de l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, car ils mourraient d’en goûter ou même d’y toucher. Le serpent, qui était là, demanda subtilement à Eve : « Dieu ne vous a-t-il pas interdit de manger de tous les fruits sans exception ? ». Elle répondit : « Non. Ce qu’il nous a recommandé, c’est de nous abstenir, sous peine de mort , d’un certain arbre du milieu de ce jardin ». Le serpent s’écria : « Alors Dieu vous a trompés ! Son fruit n’entraine pas la mort, simplement il donne la sagesse : Dieu vous maintient dans l’ignorance. » C’est ainsi qu’Eve se laissa persuader de gouter du fruit, et qu’elle fit faire à Adam la même chose »
Tous deux découvrent alors leur nudité, qu’ils s’empressent de recouvrir de feuilles de figuiers. Puis Dieu chasse les trois protagonistes hors du paradis en les maudissant, eux et leurs descendants.
De ce récit originel, il en découle plusieurs choses. La première est qu’il existe un rapport de filiation et de soumission entre la créature et son créateur.
Cette filiation est également soumis à un rapport d’autorité qui s’exprime par la proclamation d’un interdit qui a force de loi. Le respect de celle-ci est le garant d’un bon ordre des choses. Elle induit donc un comportement, une attitude qui permet de bénéficier de la sécurité et du confort du Paradis. On a donc un territoire ou règne l’amour de Dieu, mais un amour conditionnel.
Dieu sait ce qui est bon pour nous. Adam et Eve vivent tout deux dans un certain état d’innocence, ne connaissant ni le bien ni le mal, une connaissance d’ailleurs qui est un péril mortel.
Le bonheur paradisiaque, l’état d’innocence indéfiniment prolongé, est donc soumis à cette unique condition qui est d’obéir à la loi.
L’amour conditionné par l’obéissance à l’autorité qui détient la loi, cela ne vous semble-t-il pas familier ?
Obèir sans poser de questions, sans se poser de questions, n’est-il pas une façon agréable que de prolonger un certain état d’innocence, dans un monde sans bien ni mal, pour un monde sans danger, protégé par l’autorité qui crée la loi ?
N’est ce pas la question, la recherche de sens qui créent la division, le chaos ?
Pour vivre heureux, restons des enfants quand bien même nous serions des parents. Déléguons l’autorité à d’autres, car eux savent, bien entendu. Restons naïf. Le bonheur parfait en somme, presque insoutenable.
Le mythe de la Genèse est encore bien vivant. Le serpent est encore là insidieux et tentateur. Il est celui qui incite à braver la loi au nom de la vérité. Car non, ni le fruit, ni l’arbre ne sont mortel. Presque.
« Le serpent avait poussé Eve brutalement contre l’Arbre de la Connaissance, en disant : « Tu n’est pas morte d’avoir touché cet arbre, et tu ne mourras pas non plus d’avoir mangé son fruit ! ». Mais voici qu’Eve, en touchant de ses épaules l’arbre, vit approcher la Mort. « Voici qu’il me faut mourir, gémit-elle, et Dieu va donner à Adam une nouvelle épouse ! Laisse-moi le persuader de manger comme je l’ai fait, en sorte que, si nous devions mourir tous les deux, nous mourrions ensemble; et que sinon, nous vivions ensemble. » »
Ce n’est pas la mort en tant que réalité qui effraie Eve, mais en tant que possibilité. Petite parenthèse que je développerai dans l’article consacré à la Lune.
La question de l’origine des mythes est toujours en question. Pour chacun d’eux, il en existe plusieurs versions. Pour exemple, on trouve dans le livre de Job XV. 7-8, une allusion à ce qui paraît être une version plus ancienne du mythe du paradis de la Genèse.
« Es-tu né le premier homme et as-tu été enfanté avant les collines ? Est-ce que tu entends la confidence d’Eloah et accapares-tu la sagesse ? »
D’après ce passage, Adam naquit avant que les collines ne fussent formées (le monde tel qu’il est), il assista à l’assemblée divine et, ambitionnant une gloire encore plus grande, il vola la sagesse, faisant ainsi de son propre chef ce que, dans la version de la Genèse, Eve et le serpent le persuadèrent de faire.
Un récit s’avère souvent sous-tendu par des intentions. Pour en revenir à la genèse, on peut s’interroger sur les motivations du serpent. Car il dit aussi à Eve : « Les derniers créés ont pouvoir sur les premiers. Toi et Adam, créés les derniers de tous, vous avez pouvoir sur le monde entier; mange donc et acquiers la sagesse, de peur que Dieu n’envoie de nouvelles créatures usurper votre pouvoir ! »
Le choix du serpent dans le rôle du séducteur pour inciter Eve et Adam à braver la loi n’est pas le fruit du hasard. Cela aussi obéit à une intention.
Dans la mythologie, le serpent peut être un symbole vital, comme la Kundalini, principe d’évolution avec le serpent qui se mange la queue, Ouroboros, ou encore Leviathan, puissance infernale et destructrice.
Dans la chute de l’homme, il préfigure le diable : séducteur, tentateur, il trompe, il illusionne. Ce choix déterminé catégorise immédiatement celui qui pose une question. Ce n’est pas l’objet de la question qui est craint mais le questionnement lui-même, dans le sens où il contribue à remettre la loi en question. Ni l’arbre, ni le fruit ne sont mortel.
De plus, la désobéissance, est non seulement une faute mais elle est surtout un péché, mettant ainsi l’accent non sur l’erreur commise mais sur la culpabilité qui en résulte. Connaissant le bien et le mal, Eve et Adam, doivent comprendre que braver la loi c’est défier l’autorité divine et que ça, c’est le mal. Un interdit reste un interdit quelque ce soit sa valeur, une notion intrinsèque à la loi et qui ne souffre pas d’exception. Qui va jusqu’à dire que si celle-ci existe, elle ne fait que confirmer la loi. Un cercle vicieux, imparable, qui justifie de tout. C’est le prix de l’amour.
Finalement, avec ce récit sur la chute de l’homme, ce qui se construit ici, c’est un schéma de ce qu’est l’autorité et du rapport qu’entretient l’individu, homme et femme, avec celle-ci.
- Le rapport entre Dieu, Adam et Eve, est filial.
- L’amour et la sécurité sont liés à une autorité qui en définit la condition : le respect d’un interdit qui a force de loi
- L’autorité qui s’exprime agit pour le bien de l’individu. Une loi toujours confirmée par ses exceptions.
- Le non respect est un péché. Une faute morale qui implique un jugement et une condamnation
On retrouve beaucoup de ses aspects dans notre société actuelle. Le mythe parle encore.
La particularité d’un mythe est qu’il est créé, dans sa forme, pour être compréhensible par une maximum de gens. Il s’adresse à l’imaginaire, à l’enfant qui est en train de grandir. La chute de l’homme est le récit initiatique de notre passage au monde adulte.
Un mythe sert toujours une intention. En définissant les termes, il propose un ordre au monde. Cet ordre une construction particulière qui veut toujours se faire passer pour universel, c’est à dire valable pour chacun, sans exception.
Ma seule ambition est de passer du mythe aux mythes. C’est leur diversité et leur point commun qui les rendent intéressant. Ils agissent comme des miroirs en fait : ce qui s’y reflètent, personnages et décors sont amenés dans l’image inversée pour y être redécouvert.
Les récits ont ceci d’important qu’ils agissent sur la représentation de la réalité, l’image que l’on a du monde. Une représentation extérieure qui frappe à la porte de notre représentation intérieure, au récit que l’on se fait à soi même.